DAVID BIOULÈS / RAPHAËL ZARKA |
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Les Formes du repos mais aussi des regards en activité. Celui d'un peintre silencieux posé sur la peinture et ses objets et celui d'un jeune photographe sur les friches naturelles et matérielles. |
DAVID BIOULÈS |
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Peindre des choses, c'est les voir autrement, les couvrir, les recouvrir, les oublier. C'est les faire exister en peinture, se mettre en face. Si l'histoire a usé de nombreux thèmes, la vie les a de toute façon fait disparaître aussi. Mais il reste les fragments, les non-lieux, les interstices longtemps restés impeignables. Photogéniques, télégéniques, mais capables d'être aussi rattrapés par la lenteur de la peinture, par sa force de matérialisation des images. La présence de la peinture, c'est peut-être ce qu'elle a de plus propre. Devenir existence, sur elle-même bien sûr, mais aussi un peu sur son histoire, dans la mémoire de l'oeil qui la regarde, qui la transfigure, des fois, quand ça marche. Le pouvoir rétinien, spécifique, délaissé par certains, mais dont la servitude reste douce pour d'autres, maîtresse exclusive. J'ai regardé, dessiné et peint des tentes, des fauteuils, des chaises. Chaises. 2002 Acrylique, minium, fusain et glycéro sur médium. 130 x 97 cm |
"Pour le peintre, l'objet ne peut être
que prétexte à une réflexion de l'objet."(1)
C'est une phrase que David Bioulès aurait pu faire
sienne. C'est de la rencontre entre le dessin et la peinture que résulte le caractère particulier des uvres de l'artiste, dans lesquelles le regardeur devient sujet d'expérimentation. David Bioulès s'impose un exercice. Que se passe-t-il de si singulier durant le geste ? Une banalité a-signifiante se compose, une mission commune se cristallise. L'artiste passe du dessin à la couleur afin d'imposer la peinture. La peinture est, par essence, prioritairement couleur. Le tableau est donc résultat. Les tentes et les chaises : deux usages d'une existence fluctuante, deux formes normales mais également altérées. Il donne à ses tableaux cette calme autorité qui les établiraient, ponctuellement, hors du temps réel. Rapide, David Bioulès préfère vérifier ses sensations, leur imprimer une continuité, laquelle confère à sa peinture une assise stable et l'ancre dans une permanence comme en témoignent les deux formes/motifs choisis.Ils représentent à eux seuls des natures mortes contemporaines, tandis que le dessin et le souvenir des chaises et des tentes se fondent furtivement dans des monochromes.Telle la DS de Gabriel Orozco, les sujets deviennent, à leur tour, des formes emblématiques de notre société moderne. L'objet devenant alors figure et inversement. |
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De plus, la brillance obtenue par
l'utilisation combinée de laques glycéro et de vernis,
ordonne aux tableaux une luminescente trivialité. A propos des tentes, tout semble graviter autour du degré de luminosité. La brillance crée des masses liquides, des masses refluantes, des masses d'absorption. La peinture dispose, ainsi, d'une particulière qualité de lumière conditionnant fondamentalement la sonorité de ce travail. Les tentes et les chaises participent d'une stratégie de l'introduction d'éléments à la fois immuables et aléatoires dans ce qu'elles évoquent. Elles sont symboliques et "institutionnelles" : illusion d'optique, distorsion visuelle et glissement de sens. A l'instar de François Curlet, il procède à un déplacement des signes et des références. Cependant, même si David Bioulès use d'objets banals, il ne transforme pas radicalement leur sens par son installation dans l'exposition. L'interprétation contemporaine que fait l'artiste du monde, sur la figure et la couleur est subvertie à travers la référence à une forme rustique du quotidien. Les deux motifs adoptés suggèrent implicitement une froideur industrielle, une médiocrité du quotidien ; en bref une synthèse des regards portés sur notre société. Finalement, l'oeuvre de David Bioulès adopte un formalisme camouflé et minimaliste qui se veut l'envers de la séduction. Son esthétique ambiguë tient à l'ambition d'unir les limites contradictoires du fini industriel et de l'imperfection "manuelle". Marie-Pierre Donadio. Janvier 2003. (1) Louis Calaferte, Perspectives, éd. Hesse, Paris, 1995. |
David
BIOULÈS né en 1965. Travaille à Montpellier Études d'arts plastiques Université Paris I Expositions personnelles 2001 Arpac. Castelnau le Lez. 2000 Théâtre du Hangar. Montpellier. 1998 Théâtre du Hangar. Montpellier. Expositions collectives 1999 Hôtel des Allégories. Nîmes. voir aussi >>> voir aussi >>> |
RAPHAËL ZARKA |
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Raphaël Zarka travaille comme le « curieux » qui rassemble à lintérieur de son cabinet les bases dun véritable monde en miniature. Nostalgique dun temps où créer et découvrir étaient encore synonymes, lartiste place en exergue de sa pratique une phrase quil emprunte à Borges : « Cest presque insulter les formes du monde de penser que nous pouvons inventer quelque chose ou que nous ayons même besoin dinventer quoi que ce soit. » Raphaël Zarka montre donc la quasi-totalité dune série de photographies ouverte en 2001 : Les formes du repos. |
Figer le mouvement et découper le monde sont des activités étranges, aussi les sujets que Raphaël Zarka sautorise à photographier se donnent comme autant de natures-mortes naturelles, dimages toutes-faites. |
Les formes du repos #1. 2001 Tirage Lambda. 1/5. 83 x 57 cm |
Les formes du repos #4. 2001 Tirage Lambda. 1/5. 83 x 57 cm |
Les formes du repos #6. 2002 Tirage Lambda. 1/5. 123 x 83 cm |
Figer le mouvement et découper le monde
sont des activités étranges, aussi les sujets que
Raphaël Zarka sautorise à photographier se
donnent comme autant de natures-mortes naturelles,
dimages toutes-faites. Il collectionne des objets en béton perdus dans la nature ou sur un terrain-vague et ces formes géométriques, plus ou moins reconnaissables, nous posent toujours la question de leur usage. Elles sont à lécart, en attente, au repos. Elles suggèrent un mouvement quelles ne donnent pas ; elles sont un peu comme des fossiles du mouvement. Plus proche en cela de Robert Smithson que de la photographie allemande, Raphaël Zarka ne peut se résoudre à évacuer limaginaire de la forme. Les formes du repos ne sont jamais muettes. Parallèlement à ces images, lartiste présente une sculpture, ou plutôt un objet, une roue en parpaings. La « culture du parpaing » est une culture sédentaire, comme le signale létymologie du mot immeuble (qui nest pas mobile). Fabriquer une roue en parpaings, cest donc transformer limmeuble en mobilier. Il est question ici de fabrication, et pas de photographie, pourtant, cette uvre de Raphaël Zarka nest quune « reprise » : lartiste rejoue avec un autre matériau (le parpaing) une sculpture de lartiste brésilien Iran do Espirito Santo (la découpe circulaire dun mur en briques rouges). Ce geste borgésien consiste à déplacer une forme produite par la culture, à lextraire de son monde pour la replacer dans un autre où elle prend un sens nouveau. On comprend que Raphaël Zarka ne fait ici que récupérer le geste (légitime dailleurs, nen déplaise à certains) du commissaire dexposition qui interprète une uvre en lui choisissant sa voisine. |
Nos cités, ô mon cher
compagnon, se divisent en mobiles et en sédentaires ;
les mobiles, comme par exemple celle où nous sommes à
présent sont construites ainsi : Larchitecte
construit chaque palais, ainsi que vous voyez, dun
bois fort léger, y pratique dessous quatre roues ; dans
lépaisseur de lun des murs, il place des
soufflets gros et nombreux et dont les tuyaux passent
dune ligne horizontale à travers le dernier étage
de lun à lautre pignon. De cette sorte,
quand on veut traîner les villes autre part (car on les
change dair à toutes les saisons), chacun déplie
sur lun des côtés de son logis quantités de
larges voiles au-devant des soufflets ; (
) leurs
maisons en moins de huit jours, avec les bouffées
continues que vomissent ces monstres à vent et qui
sengouffrent dans la toile, sont emportées, si
lon veut, à plus de cent lieues. Voici larchitecture des secondes que nous appelons sédentaires : les logis sont presque semblables à vos tours, hormis quils sont de bois, et quils sont percés au centre dune grosse et forte vis, qui règne de la cave jusquau toit, pour les pouvoir hausser ou baisser à discrétion. Or la terre est creusée aussi profonde que lédifice est élevé, et le tout est construit de cette sorte, afin quaussitôt que les gelées commencent à morfondre le ciel, ils descendent leurs maisons en les tournant au fond de cette fosse ( ). Mais aussitôt que les douces haleines du printemps viennent à le radoucir, ils remontent au jour par le moyen de cette grosse vis dont jai parlé. Cyrano de Bergerac, Voyage dans la lune, vers 1650. |
Raphaël
ZARKA né en 1977. Travaille à Paris. Études à la Winchester School of Art (UK) et à l' École Nationale des Beaux-Arts de Paris Expositions personnelles 1998 Galerie Confluences. Nîmes Expositions collectives 2003 Mursollaici. Centre Culturel Suisse. Paris 2002 Terrains Vagues. Paris Project Room. Paris 2001 Cartes Postales un/un (Édition). Paris 2000 Notes. Mark Gallery, Oxo Tower. Londres 1999 Degree Show 99. Winchester School of Art. Winchester 1999 Side by Side. Byam Shaw School of Art. Londres Publications Isabelle Marcadé, « Itinéraire du Pentacycle », Papiers Libres, n°30, octobre 2002. Entretien autour du Pentacycle (avec V. Lamouroux), un/un, bulletin trimestriel n°6, nov. 2001 > voir entretien Raphaël Zarka - Cécilia Bécanovic in offshore # 4 |