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Sans titre. 2004. Acrylique sur bois. 160 x 160
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Sans titre.
2004. Détail. Acrylique sur bois. 160 x 160 cm |
Du bon usage de l'aggloméré
Il apparaît que nombre d'artistes, de la génération de
Joël Renard, travaillent aujourd'hui encore en
revisitant et questionnant certaines
traditions et logiques modernistes, en empruntant au
vocabulaire formel de l'abstraction géométrique
historique par exemple. Le langage plastique des
avant-gardes utopistes (de Mondrian et Malevitch à l'art
concret au sens le plus large) est ainsi fréquemment
réinvesti dans le territoire de la peinture, comme un espéranto
géométrique : les questions de surface/façade, de
frontalité, les motifs de grilles, de lignes et de
bandes sont autant de références esthétiques et
culturelles redéployées dans un contexte actuel,
pourtant bien éloigné de celui des illusions
modernistes.
L'intérêt parallèle que porte Joël Renard à
l'architecture, le caractère des "petits
volumes-constructions" et des
"installations-vitrines" (show cases
)
qu'il a été amené à réaliser, l'élargissement de
son travail dans le cadre de ON en
collaboration avec Caroline Muheim ne trahissent
aucunement un manque de cohérence de l'approche, mais,
au contraire, peuvent plutôt témoigner d'une attention
aiguë, à la fois sur l'histoire de l'art et sur la
société, la culture et l'espace contemporains. Si un
regard pressé et pessimiste peut percevoir cette
méthode comme une simple location ou variation
autour de formes préexistantes ce qui paraît
être le cas pour de nombreux artistes au formalisme
superficiel et désincarné , il en oublierait que
la transposition des formes, chez Renard comme chez les
meilleurs, pose des questions dépassant une banale
stratégie d'inscription de signes sur un fond, vidée de
tout sens. Sans être le support d'un optimisme
illusoire, le travail de poursuite et de déplacement des
formes (des codes stéréotypés dirait ce regard) est
pour l'artiste source d'interrogations sur notre
présent, celui que les pionniers modernistes imaginaient
radieux dans la fameuse plasti-cité, mais aussi
sur le futur, menaçant, au sein d'une Histoire qui n'en
finit plus de finir. À l'opposé d'une production de
masse aux allures moyennes, Joël Renard met en place un
travail minutieux, précis, peu bavard mais pas aphone, sensible.
Comme l'a plusieurs fois montré Christian Besson par
ailleurs, il apparaît qu'il n'y a jamais eu de
véritable rupture dans l'utilisation des éléments
formels de cette tradition abstraite, même si
l'essentiel de l'énoncé s'est évidemment déplacé. Si
la génération d'artistes dont nous parlions, qui
placent aujourd'hui une partie de leur travail dans une
certaine lignée du modernisme (Mercier, Boyce, Gillick,
Rondinone
que l'on n'associe pas à Joël Renard,
rassurez-vous amis lecteurs), semble avoir été nourrie
de problématiques post-modernes dans les années 80
comme l'avoue Renard pour sa part on est
loin, ici en tout cas, de l'ironie, du simulacre (Peter
Halley
) ou du caractère quelque peu désabusé de
John Armleder (« Je ne suis qu'un peintre de plus »).
Même si les modèles historiques ne sont plus opérants,
les uvres présentées ici ne sont pas repliées
sur elles-mêmes autour de murailles. Autrement dit, s'il
nous apparaît évident que la galerie Vasistas est bien
décorée, ce décor n'est sans doute pas celui d'une
série B.
Sans titre. 2002. Acrylique sur bois. 28 x 28 cm chaque.
(série de 15)
Les petits formats récents de Joël Renard, directement
issus du néo-plasticisme, nous montrent donc des
grilles. Cet emblème de l'ambition moderniste, comme l'a
magistralement souligné Rosalind Krauss, procède ici
d'un principe de « lecture centripète ». Le motif est
entièrement contenu dans les limites de l'uvre qui
semblent conditionner la disposition interne et que le
spectateur ne peut pas ne pas prendre en compte. Le
tableau apparaît ainsi, non seulement comme une surface
peinte opaque, mais il se positionne aussi comme le
véritable « objet de la vision ». Le format,
manipulable, familier, presque précieux, l'épais
support de bois dont les tranches ne sont ni cachées ni
même recouvertes, l'accrochage légèrement décollé du
mur l'épaisseur du tableau intensifient
plus encore ce caractère matérialiste. Les pièces plus
importantes présentent également cette tension entre
leur statut d'images peintes, classiques, et une
autonomie physique, affichant même le souvenir d'une
éventuelle fonction : des liteaux de bois dépassent derrière
la façade, structurant l'objet comme les bandes
verticales structurent la surface ; des plaques peintes
se superposent et se soulèvent mais retombent sous leur
propre poids devant un support aggloméré dont
la présence manifeste et brute renvoie à une sorte
d'art du bricolage (au sens noble du terme, tel qu'a pu
le définir Lévi-Strauss) ; des tableaux découpés (shaped
canvas, pour renvoyer à du connu) proposent
alternativement au spectateur de s'absorber dans la
"visualité" de l'image apparente et
d'expérimenter les relations que peut entretenir une
forme physiquement présente et tangible avec son
environnement (le mur, l'espace).
Outre la relation ambiguë entre absorption et
"objectité", les tensions, multiples, forment
de toute évidence le cur des enjeux proprement
picturaux des tableaux de Joël Renard. Ainsi, les
éléments plastiques inscrits sur les surfaces ne sont
pas aussi rigoureux et systématiques qu'un premier
regard, pressé, pourrait le laisser croire, mais
fourmillent au contraire d'effets déstabilisateurs. Sans
spectacle, sans prouesse technique et sans souci de
légitimation, les processus de mise en uvre et les
mécanismes de construction sont visibles et démontables
et laissent transparaître une part d'aléatoire ou même
d'imprécision qui détonne avec la rigidité apparente
des images, du vocabulaire et de la grammaire utilisés.
De l'aveu même de l'artiste, les quelques formes
circulaires presque transparentes, qui naissent ici ou
là, peuvent se laisser percevoir comme des bulles ou des
fantômes de nez de clown générant encore un écart
maîtrisé un équilibre entre pudeur de
l'expression et dévoilement intime. Les choix
chromatiques ou le traitement sensible des formes, noires
et blanches en particulier, confèrent enfin aux
uvres un certain luxe, un certain calme, que, a
priori, nous n'osions pas attendre.
Avec des images modernes, moyennes et familières,
qu'aucun plasticien ne pourrait rater, Joël
Renard expose des Joël Renard, spécifiques, réussis,
beaux peut-être.
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